Bienvenue à Caviar Kaspia

A quelques jours d'y retourner avec ma mère pour fêter son anniversaire, j'avais envie de parler un peu d'un endroit qui a longtemps joué un rôle important dans ma vie, de par la place qu'il occupait dans notre vie familiale et le temps qu'on a pu y passer. Caviar Kaspia (d'où le titre du message d'aujourd'hui), est le restaurant dont mon père fût le PDG pendant 23 ans. Autant dire que je l'ai toujours connu depuis ma naissance. Ce fût, en quelque sorte, un point d'attache dans Paris, presque une seconde maison. Forcément aujourd'hui, ça reste surtout un souvenir même si il m'arrive d'y passer. Mais je ressens comme un devoir de mémoire d'en parler ici, d'autant que pour cela je vais m'aider des notes qu'avait écrit mon père peu avant sa mort, à l'époque où il comptait sortir un livre sur la saga de cette société fondée en 1927. C'est donc avec l'aide de sa plume que je vais rédiger ce billet :) . Ses paroles seront retranscrites en italique.

Idéalement situé Place de la Madeleine à Paris (près de nombreux théatres et de l'Opéra), Caviar Kaspia est devenu pour beaucoup synonyme de luxe, plaisir et raffinement. La spécialité comme son nom l'indique, c'est le caviar sous toutes ses formes ainsi que le foie gras, le saumon et autres poissons fumés raffinés, bref la gastronomie haut de gamme. L'immeuble, composé aujourd'hui d'une boutique en rez-de-chaussée et d'un salon de dégustation à l'étage, a connu quelques retouches, mais l'esprit est resté le même. En revanche, l'activité de la société a elle considérablement évolué avec le temps. Outre l'ouverture de nouveaux restaurants sur Londres et Los Angeles, on compte ainsi "l’agrandissement du restaurant, par la récupération et l’aménagement de nouvelles salles à plusieurs reprises ; mes successeurs ont continué d’ailleurs dans ce sens avec l’ouverture d’une nouvelle salle. Egalement , en 1990, l’acquisition, dans la perspective de contrats avec les compagnies aèriennes, d’un important local à Aubervilliers et son aménagement en cellules de stockage, ateliers de conditionnement et cuisines. Un peu plus tard, germa dans la tête d’un de mes collaborateurs, Ugo Gambérini, l’idée d’un service traiteur. Mon seul mérite est de l’avoir  soutenu et encouragé dans cette voie . Kaspia Receptions est maintenant une activité en plein développement qui a déjà à son actif : le service du G 8 à Evian, des réceptions à l’Elysée et différents Ministères, l’organisation de réceptions au Stade de France et tout récemment des festivités au Stade de France à l’occasion du centenaire de la FIFA ( 7000 invités ) sans parler de réceptions privées".

Ainsi, pendant près de 15 ans, je me rendrai régulièrement en ces lieux, pour donner un coup de main lors des fêtes de Noël, pour traîner dans les bureaux le samedi après-midi, pour chercher mon père à la fin du travail, pour dîner lors d'anniversaires, ou même pour y accompagner mon père en pleine nuit quand l'alarme s'était déclenchée (provoquant alors un appel téléphonique chez nous)... Petit garçon, je m'y sentais comme un coq en pâte: tous les vendeurs et serveurs nous saluaient bien bas, sans doute intimidés et ayant peur de vexer le patron en cas de bavure ^^ Moi, j'étais plus attiré par les petits "cadeaux", et je me délectais à l'oeil de petites tranches de saumons (les chutes, ces morceaux qui restent quand on a découpé de belles tranches fines), savoureux pirochkis fourrés à la viande ou au saumon, petits caramels mous, ou tout simplement une boisson au bar. C'était le summum du luxe à mes yeux: je m'installais sur un grand siège en hauteur pour discuter quelque peu avec Stelio le maitre d'hôtel, qui savait instantanément ce qui me plairait: un bon Coca bien frais :) A la maison, nous ne manquions jamais des mets savoureux pour fêter des grandes occasions: oeufs de saumon, saumon fumé, blinis, pâtisseries fines... curieusement, nous n'avons que très peu mangé de caviar ma soeur et moi. Nous étions conscient de sa valeur, mes parents ne voulaient pas nous le gaspillions, mais c'est aussi tout simplement parce que je préférais alors le saumon ou le foie gras. Ceci dit, je ne mentirais sûrement pas en avouant avoir sans doute mangé plus de caviar que la plupart des jeunes de mon âge lol! A chaque métier ses avantages ;)

Mais c'est sans aucun doute au restaurant que je préférais me trouver. Dîner au milieu de ces inconnus ignorant que le patron était parmis eux. Ecouter les histoires et anecdotes sur les stars ayant récemment déjeuné ou dîné au restaurant. Tout me permettre ou presque, visiter les cuisines, demander au serveur de me resservir. Et bien entendu l'ambiance, digne d'un conte de fée: bien s'habiller, et admirer ce lieu empreint de luxe mais surtout de romantisme. Pour vous imaginer le lieu, mieux vaut laisser mon père le décrire: "(...) on y trouve déjà ce qui fait l’originalité et le raffinement de ce lieu :des boiseries et dans des vitrines spécialement aménagées, une collection fantastique d’objets d’art de la vieille Russie : assiettes militaires en porcelaine polychrome peintes au centre d’officiers de la Garde, du 19 ème, rafraichissoirs en argent gravé du 19^ème, Chopes timbales en argent du 18^èm,e bronze de Tourgueniev et, accrochés aux murs : deux Svertchkov, deux Bogoliubov, deux Lagorio etc.. tous peintres russes du 19^ème."   Le tout dans une ambiance tamisée, avec des tables éclairées à la bougie, bordées de canapés ou fauteuils aux tons bleu et or. Pendant des années, j'ai été surtout particulièrement impressionné par l'immense esturgeon (empaillé?) pendu au plafond au dessus de la tête des visiteurs. Quelques travaux réalisés à la fin des années 90 ont rendu au lieu toute sa splendeur, avec une boutique flambant neuve et un restaurant aggrandi.

Après avoir pris sa retraite en 2001, mon père resta quelques temps conseiller au nouveau Président. Les affaires se maintenirent, même si toute l'équipe qui l'appréciait énormément avoua que ce n'était plus pareil. Le côté "familial" de l'entreprise avait disparu. Fidèle à ses collaborateurs, mon père décida d'organiser tous les ans un grand déjeuner chez nous avec tous ceux-ci, serveurs compris. Et jusqu'à sa mort, nous fîmes de Caviar Kaspia un rendez-vous familial annuel pour fêter chacun de ses anniversaires. Celui de 2005 fût annulé quelques jours après son entrée à l'hôpital le 15 juillet.

2003 et 2004

Aujourd'hui, beaucoup de gens ont quitté la maison. Les prix ont explosé, conjointement à la rarification des produits, et malgré l'accueil chaleureux qu'on nous apporte toujours lorsque nous nous y rendons, je m'y sens moins chez moi qu'à l'époque de mon enfance. Mais le succès, lui, est toujours au rendez-vous et je pense, comme ses collaborateurs, que mon père en a été le véritable instigateur. Débauché du grand restaurant parisien Maxim's, ne connaissant alors strictement rien au caviar à son arrivée à la tête de la société (ça a bien changé en 23 ans!), il a multiplié le chiffre d'affaire par 10 et les profits par 70, mais surtout redoré le blason à cette entreprise alors ronronnante et poussiéreuse, et su s'entourer d'une équipe qui resta fidèle à ses principes, même aujourd'hui. Mais finalement, rien d'étonnant de la part de quelqu'un qui a su allier plaisir et sens des affaires (car oui, il a toujours aimé bien manger!). Aussi cet endroit reste spécial pour moi, mélange de lieu familier et de souvenirs, un endroit pour lequel je ressens un fort sentiment d'appartenance. Je dois avouer que rédiger un tela rticle n'est pas facile, tant cela ramène des souvenirs forts et forcément douloureux. Aussi je concluerai simplement en citant abc-luxe.com qui publia, en fin d'article consacré à ce restaurant: "(...) si un soir l’envie vous prend d’aller déguster quelques grains de caviar ou fondantes tranches de saumon au 17 Place de la Madeleine, vous verrez, la maison reste empreinte de son charisme."

Pour les intéressés, retrouvez l'intégralité de l'interview de mon père sur la saga Kaspia ici: http://www.abc-luxe.com/actu_focus/print.php?idart=6864